Les animes Key, la dou(c)(l)eur de vivre

Key est un studio de développement de jeux de type visual novel, fondé en 1998. Il sortira l’année suivante son premier jeu, Kanon, et impactera grandement le monde du visual novel. Le studio est notamment connu pour ses « jeux pour pleurer », proposant des chapitres finaux riches en émotions. Certains de ces jeux ont connu une adaptation en anime (voire plusieurs), mais le studio a également travaillé sur des animes originaux, dont les histoires sont toutes signées par Jun Maeda, l’un des cofondateurs et des principaux scénaristes jusqu’à Little Busters (en plus de son rôle de compositeur). Ces animes ont également connu, selon les cas, un assez grand succès, marquant l’esprit des spectateurs tant par leurs histoires que par leurs réalisations travaillées. C’est sur ces animes que nous attarderons dans cet article, en cherchant à montrer leurs thèmes, et ce qu’ils sous-tendent, afin d’essayer de comprendre pourquoi ces œuvres nous marquent tant. Le but n’est bien sûr pas d’explorer chaque anime en détails, mais nous en dévoilerons cependant des moments clés. Il est donc conseiller d’avoir déjà vu les principaux animes de Key, pour ne pas se voir gâcher leurs fins.

I. L’enfance éternelle

Les scénarios des animes Key mettent un point d’honneur à mettre en scène des adolescents, dont on verra également parfois le passé, lorsqu’ils étaient encore enfants. Le facteur temps est donc centré sur cette adolescence, et surtout sur la ligne floue qui sépare enfance, adolescence, et fin d’adolescence. Bien qu’adolescents, ces personnages sont le plus souvent marqués par les événements de leur enfance, ou ont au contraire oublié cette dernière. Ils ne sont ainsi plus physiquement enfants, mais le restent dans leur comportement et psychologie, perdus dans un entre-deux flou, celui du changement. Ainsi, ces personnages seront, dans leurs histoires, bloqués d’une manière ou d’une autre dans une fin d’enfance éternelle. Et cela sera d’autant plus accentué par le facteur espace, qui place toujours l’action dans un quotidien bien ancré, qui semble lui aussi se répéter à l’infini. L’exemple le plus parlant sera sûrement Angel Beats, où les personnages « vivent » dans un purgatoire scolaire, ne pouvant mourir et gardant éternellement leur apparence adolescente. Air va encore plus loin, en faisant peu à peu régresser psychologiquement Misuzu à l’état d’un enfant en bas âge (de plus, l’été est souvent utilisé comme un moment hors du temps, où tout est possible, et de ce fait associé à des histoires d’adolescences). Dans Platetarian, Yumemi est un robot à l’apparence d’une adolescente, abandonné dans un monde post-apocalyptique. Incapable de grandir, elle n’a pas non plus la capacité de comprendre la réalité de ce monde adulte. Mais c’est parfois le facteur espace lui-même qui semble piéger les personnages dans un quotidien sans fin, arrêtant le temps pour eux. C’est le point de départ de Clannad, où Tomoya est prisonnier d’un quotidien morne et linéaire: « Est-ce que viendra le jour où cela changera? ». C’est aussi le cas de Little Busters, où l’action se place dans un monde artificiel, ce qui rappellera également l’autre monde de Clannad.
Les histoires de Key sont donc marquées par ces thématiques de l’enfance et de l’adolescence, ainsi que par les lieux représentatifs de ces dernières. L’école est ainsi un des lieux les plus usités dans leurs univers. Ces deux facteurs d’espace et de temps permettent alors une identification forte aux personnages et à leurs quotidiens, nous plongeant dans des éléments et thèmes familiers, tout en les mettant en emphase par ce côté éternel. Eternité bienheureuse, mais qui cache un fond illusoire, emprisonnant nos personnages dans le dénis du changement.

 

2. Grandir c’est mourir

Les histoires de Key sont centrées sur l’adolescence, et le changement le plus marquant de cette période d’une vie est bien le lent passage à l’âge adulte. Le fait de grandir. Cependant, grandir c’est sortir de l’enfance, un temps de miracles et de joies. C’est une perte de cette innocence, et par cela une mort métaphorique. Dans leurs animes, Key va utiliser cet élément de manière plus concrète, en passant de la métaphore à l’acte. Grandir, c’est mourir. On devine déjà cela par le côté mélancolique que prennent leurs histoires. Nous quittons les personnages à la fin de leurs aventures, souvent sur une note larmoyante, comme si cela était la fin ultime de l’histoire, comme si une fois celle-ci finie, ils n’existaient plus. Symbolisant la fin de l’adolescence, la dernière partie de ces animes marque un point de non-retour, souvent exprimé par la mort d’un personnage (ou son souvenir). C’est la dernière ligne droite avant l’âge adulte, et donc avant la mort. Car le monde adulte est très peu représenté dans ces animes, et les quelques personnages adultes sont le plus souvent de « grands enfants » à l’image des parents de Nagisa, ou des adultes « ratés » comme la mère de Misuzu. Cette absence d’adultes et de leur monde (qui sont cependant souvent désignés comme mauvais ou comme obstacles aux miracles des enfants) ne fait que renforcer cet espace-temps enfantin, comme si le monde adulte était un autre monde, un au-delà inaccessible aux adolescents et tous ceux qui s’en rapprochent. La mort est ici un élément-clé pour celui qui la vit ou les proches qui la subissent, car agissant comme un rite de passage à l’âge adulte. Nagisa mourra lors de son accouchement, échouant à devenir une mère, et donc une adulte. Dans Kanon, c’est plutôt en acceptant le souvenir, la réalité, du drame d’Ayu que Yûichi pourra sortir du flou de son adolescence. Dans Angel Beats, tous les personnages sont morts une première fois, malgré eux. C’est pour se rebeller contre cette injustice de ne pas avoir pu grandir, qu’ils cherchent à s’emparer de ce monde et sa jeunesse éternelle. Ce n’est alors qu’en acceptant de renaitre, de mourir à nouveau, qu’ils auront accès à une nouvelle chance de grandir. Car si grandir est présenté comme une mort tout du long, la conclusion des histoires de Key montre au contraire cela comme une renaissance, un accomplissement de soi.
Dans une période aussi charnière que l’adolescence, le fait de grandir, de finir un cycle important de notre vie, est source de bien des maux. Peur de l’avenir, recherche d’identité, incompréhension du monde; l’adolescent peut facilement se perdre de bien des manières. C’est aussi en partie la sensibilité et l’expérience de chacun sur cette perdition de l’adolescence qui joueront sur notre appréciation des œuvres de Key. La mort y joue un rôle important, tant bien comme thème que comme élément direct de l’intrigue. Et si grandir, c’est mourir, ce n’est pas seulement dire adieu à son innocence, mais aussi dépasser ses maux et traumas, réussir à trouver une voie dans le brouillard de notre vie. Car grandir, c’est aussi accepter de vivre.

 

3. La douleur de vivre

Les premières parties des animes de Key sont souvent des moments de quotidiens, une adolescence enjouée et rieuse, un moment hors du temps qui semble parfait. Mais ces introductions sont tels des rêves, palliant la dure réalité qu’est celle de nos personnages. Il suffira d’attendre le deuxième épisode de Clannad pour entrevoir la douleur que vit Tomoya au travers de sa blessure, et par cette dernière toute la rudesse de sa relation familiale. Dans Rewrite, c’est l’expérience de la guerre, et dans Angel Beats le poids des regrets et la douleur autour de leurs morts. Si ces personnages semblent évoluer dans un doux quotidien, ou au moins une banalité relativement heureuse, cette vie qu’est la leur est cependant parsemée de drames. Des tragédies du quotidien. Vivre n’est donc pas tant pour eux une évidence, mais plutôt le fait de porter le poids de ces douleurs, de les diluer un tant soit peu dans un quotidien. Car le quotidien, ce fait de vivre « normalement », est leur plus grande aspiration. On retrouve bien cela dans Angel Beats, où le moyen de disparaitre, de renaitre, consiste simplement à vivre une vie scolaire « normale ». Dans les univers de Key, souffrir est la promesse de jours meilleurs. Cependant, cette souffrance n’est pas tant ici un élément qu’une nécessité. Pour réussir à vivre, à accéder à un quotidien idyllique, il faut avoir souffert. Ce n’est qu’au travers des épreuves qu’ils subiront, qu’ils pourront grandir. Ce facteur de souffrance fait donc ici office de rite de passage. Ce n’est qu’au travers de ce dernier que l’on peut réellement grandir et devenir adulte. J’insiste sur le réellement, car il faut distinguer les adultes « normaux » et ceux qui ont passé ce rite de passage. Car c’est tout ce que leur aura apporté cette expérience du malheur, qui les rendront plus accomplis, plus vrais, que ceux qui ne font que vivre à moitié leur vie. Cela est explicitement présenté dans la chanson My Song d’Angel Beats: « C’est toi, en train de pleurer, c’est toi, dans la solitude / qui est dans le vrai, c’est bien ça être humain / nos larmes versées en témoignent / pour les véritables nous, qui ne sont pas d’aussi belles impostures, merci ».
Encore une fois, ce raisonnement prend tout son sens dans une période adolescente, face à un monde adulte incompréhensible, et surtout faux. Car, contrairement à eux dans ces histoires, nos personnages assument leurs faiblesses et erreurs, et grandissent au travers elles. Cette sorte d’éloge de la faiblesse est d’autant plus significative dans la société japonaise, où l’image est un élément des plus importants. Montrer ses faiblesses n’y est clairement pas une bonne chose. Cependant, Key offre un message fort et rempli d’espoir à cette jeunesse. Celle que quelle que soit la douleur de leur vie, cette dernière a du sens, de la valeur, d’autant plus par cette douleur qu’ils ressentent. Souffrir, c’est la preuve d’avoir vécu. Et assumer la faiblesse qui en découle, c’est cela devenir adulte, c’est cela être « humain ». C’est ce fait de dépasser cette souffrance, d’en faire notre force, qu’on retrouve dans la conclusion forte à propos du film Kud Wafter: « Être fort, c’est reconnaitre notre propre faiblesse, et aller de l’avant, ne serait-ce que d’un pas ». Vivre, c’est souffrir, c’est se débattre de nos faibles forces pour grandir, tout en ayant la force de rester nous-mêmes. De rester vivant, malgré le changement.

 

Conclusion:

Les univers des animes de Key nous ont marqués de bien des manières, semblant parfois s’adresser directement à notre coeur par leurs thèmes et leurs personnages. Le temps de quelques épisodes, ils nous plongent dans une adolescence fantasmée, mais dont les échos nous semblent presque trop réels. Ils nous replongent en enfance, pour mieux nous en faire sortir. Comme pour rattraper un temps perdu. Comme pour nous rappeler de grandir. Si tous ces moments, des parties enjouées de baseball aux séparations douloureuses, forment un rite de passage pour nos personnages, ces animes eux-mêmes sont peut-être le rite de passage que nous offre Key, nous confiant leurs rêves au travers de leurs histoires. Nous confiant l’avenir. « De la même manière que j’ai été sauvée, je sauverai quelqu’un comme ça », déclarait Iwasawa avant de disparaitre. De la même manière que les mondes de Key possèdent une petite touche de magie, les miracles du temps de l’enfance, Key pourrait se voir comme la magie de notre monde, ou le moyen de la toucher. La magie de rendre possibles nos rêves. Tous les mondes de Key sont autant de fragments de vies, une mosaïque de sentiments et de variations, une magie du cœur là pour nous « sauver ». Pour nous insuffler l’espoir, le courage de dépasser nos peines, dans une pointe de réenchantement de notre quotidien. « La force et l’assurance de pouvoir te battre encore une fois, et ce chant, ils sont pour toi qui es découragé » (Paroles de My Song). Key est, bel et bien, une clef. Celle de notre cœur et ses émotions, celle d’innombrables portes « attendant juste-là. Alors tendons la main! » (Paroles de My Song). Si les éléments de ces univers ne sont pas exclusifs à Key, ce dernier a cependant réussi à synthétiser l’essence même de ces thèmes et la manière de les exprimer. Cela, surtout dans la trilogie de Tatsuya Ishihara chez Kyoto Animation (Air, Kanon 2006 et Clannad) et dans Angel Beats chez PA Works, qui offrent un apogée jamais égalé dans leurs animes suivants.
Key, d’une manière ou d’une autre, réussit à nous toucher, à toucher cet enfant qui sommeille en nous, cet adolescent qui nous colle à la peau, cet adulte qui ne réalise pas l’être. Il nous touchera de ses rires, de ses moments de grâce, de ses drames, de ses combats. Plus que tant d’autres, il saura faire vibrer notre âme. Key nous offre la clef, celle de notre vie, ouvrant la voie à nos rêves, et faisant briller au loin, une lueur d’espoir, le bonheur d’un quotidien, se dévoilant dans l’entrebâillement d’une porte jusqu’alors close.

 

« Même seule, j’avancerai, et si l’envie de mourir me venait,
J’entendrais une voix, m’interdisant de mourir
Et même si ça devait m’être douloureux, et que je pleure d’être seule,
Au fond de mon cœur, je sentirais cette chaleur »

(Paroles d’Ichiban no takaramono d’Angel Beats)

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