Re:Zero, ou le choix de récit

Adaptation du Light Novel éponyme, Re:Zero est un anime qui connut un grand succès, et qui sut marquer les spectateurs par ses personnages. Notamment au travers d’un Subaru auquel l’identification est très simple, la mécanique de retour dans le temps ne faisant qu’ancrer davantage nos émotions en lui. Et c’est par conséquent au travers de cette projection en ce personnage que nous vivrons son histoire, et les récits qu’elle explore. Car derrière ses visuels et son scénario, Re:Zero ne raconte-t-il pas la quête même d’un récit dans nos vies ?

 

1 : La pluralité d’un récit

Avant de rentrer dans le vif du sujet, il nous faut tout d’abord revenir sur un point important : Re:Zero est avant tout un LN. Ces derniers sont définis par Azuma Hiroki comme des « romans de personnages » (je renvoie à l’article sur l’identification aux personnages pour plus de précisions). Nous nous réfèrerons d’ailleurs beaucoup au livre d’Azuma, tant Re:Zero semble une illustration parfaite de ses idées. Les personnages sont donc la matrice du récit, des récits. Car, pour Azuma, les personnages font partie d’un métarécit issu de la base de données que forment ces personnages. C’est-à-dire qu’ils peuvent prendre leur indépendance du récit dont ils sont issus, dans une structure postmoderne de prolifération de récits mineurs. Et qui de mieux que Subaru pour illustrer cela ? Par la mécanique de l’anime, il explore à chaque boucle un nouveau récit, une nouvelle possibilité, prenant à chaque fois son indépendance du récit précédent. Plus encore, cette pluralité de récit, et la mécanique qui lui donne vie, n’est pas sans rappeler ici les Visual Novel de type jeux de drague. En effet, Subaru semble tout à fait lancé dans une quête de la route finale d’un VN, reprenant sa sauvegarde à chaque échec de choix d’intersection. Cette route finale est celle d’Emilia, mais, à l’instar des VN, elle ouvre en même temps les routes vers les autres « jolies jeunes filles » à draguer. L’œuvre laisse donc la porte grande ouverte aux œuvres dérivées (dôjinshi etc.), -voire les encourage-, chacun pouvant alors choisir sa propre « waifu« , c’est-à-dire transférer ces personnages dans une infinité de récits différents.

 

2 : Le choix d’un récit de vie

Cela étant posé, attardons-nous maintenant sur le récit même que propose Re:Zero. Commençons par la fin, avec le personnage de Béatrice. On y découvre qu’elle menait sa vie en fonction de ce qui était inscrit dans son livre. Cependant, quand ce dernier ne lui livrera plus aucune indication, Béatrice se retrouvera perdue, ne sachant que faire. Elle tombe alors dans une attente passive, celle d’un sauveur virtuel, d’un prince charmant, d’un être qui pourra lui montrer la voie à suivre. Car elle-même ne s’accorde pas ce pouvoir. Ou plutôt, face à l’infinie des possibilités de récits possibles, elle ne parvient pas à en choisir un seul d’elle-même. Elle fuit le choix et sa responsabilité, en se réfugiant dans l’attente d’une figure d’autrui, qui décidera et surtout assumera ce choix pour elle. Cela, quitte à stagner éternellement. On retrouve cette pensée chez Ootsuka Eiji, et dont on voit facilement le parallèle avec les jeunes générations japonaises (mais pas seulement), et leur situation de perdition à divers niveaux. En effet, filtre de fantaisie mis à part, comment ne pas voir Béatrice comme une hikikomori cloîtrée chez elle, incapable d’interagir avec autrui, et fuyant toute forme de responsabilité ? Pis encore, elle préfère se tourner vers la mort (et cela, au travers d’autrui, fuyant également ce choix de récit pour elle), que de décider elle-même de sa vie. Elle sera cependant « sauvée » par Subaru. Des guillemets, car ce dernier ne fera que lui demander de choisir : « choisis-moi ». De faire un choix qui donnera du sens à sa vie, en s’ouvrant à autrui et en donnant ainsi du sens à son quotidien, plus qu’à un futur virtuel. Ce passage montre également l’un des thèmes les plus importants des LN, la relation à autrui. Etant des romans de personnages, il est logique de penser la relation de ces derniers comme le fondement de leur récit, autrui y étant indispensable, au point de parfois tomber dans une sorte de dépendance à l’autre.

 

3 : Accepter de grandir

Subaru offre quant à lui un postulat légèrement différent de celui de Béatrice. En effet, contrairement à cette dernière, il fit le choix de son récit dès son arrivée dans ce monde. Celui d’Emilia (la route finale). Ce choix de récit est même, d’une certaine manière, le fait de faire d’autrui son récit de vie. C’est cependant ce choix qui sera mis à l’épreuve par la mécanique de l’anime. Par le fait d’explorer toutes les possibilités de ce métarécit, et donc, de faire peser le poids de la responsabilité d’un seul choix sur Subaru. Un des points les plus intéressants sera le passage où ce dernier prendra conscience de la possibilité que chaque ligne temporelle où il mourut continue même après sa mort. Et de ce fait, que ses proches l’ont vu mourir et portent cette perte. Le poids de ces possibilités (de ces récits) qui ont échoué, ou plutôt, que Subaru a rejetées, pèse naturellement sur lui. Ce choix qu’il a fait et le poids de la responsabilité qui en découle, sont la preuve qu’il accepte de grandir, d’avoir des responsabilités, et donc d’assumer ses erreurs. Mais grandir n’est pas si simple, et Subaru sera bien entendu tenté de renoncer. Et c’est là que le passage de Rem est aussi marquant qu’important. Sous le poids des possibilités rejetées et sa responsabilité qu’il peine à supporter, Subaru fuit dans la facilité du récit qu’imagine Rem pour eux. Cela, plutôt que celui qu’il avait choisi de suivre, et lui demandant de se dépasser, de grandir. Une pure fuite de responsabilité en autrui. Le même autrui qui l’aidera à aller de l’avant. Car si Subaru a fait d’Emilia son récit de vie, il ne prêtait pas attention à l’importance que lui portait autrui, imposant son récit. Il oubliait jusqu’alors de donner de l’importance, du sens, à sa propre vie, et aux récits de chacun. Car grandir n’est pas simplement un choix de récit à faire, mais aussi accepter ceux d’autrui dans le sien.

 

Conclusion :

Re:Zero est une série riche et entrainante, dont les personnages et le concept marchent à merveille. Mais là où l’œuvre révèle toute sa force, c’est dans sa structure profonde et les thèmes que l’on peut en tirer. L’anime livre alors nombre de points intéressants, et notamment sur ce fameux choix de récit, ainsi que la place d’autrui dans notre vie. Il est ainsi bel et bien un produit de son époque postmoderne, usant de son métarécit comme le moyen même d’illustrer la situation de perdition de faire le choix d’une possibilité parmi tant d’autres récits.

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