La symbolique de l’été dans l’animation japonaise

Le Japon est un pays dont le changement des saisons est des plus marqués, notamment au travers de leurs paysages. On pensera tout de suite au printemps et ses cerisiers en fleur, ou l’automne et ses feuilles d’érable. Cette sensibilité aux saisons et leurs différentes caractéristiques sont par conséquent très ancrées dans la culture japonaise, jusque dans ses rites. La marque de ces saisons se retrouve donc également en abondance dans la vie quotidienne, rythmant cette dernière tant en marquant la temporalité que par les mœurs qui l’accompagnent. Il n’est donc pas étonnant de retrouver ces éléments de saisons dans l’animation japonaise, apportant leur lot de symboles et de codes. Il est cependant une saison, qui, dans l’animation, revêt en elle-même une forte signification dans le récit qu’elle accompagne. Il s’agit bien sûr de l’été. Nous allons donc nous pencher sur toute la symbolique dont regorge cette saison, et comment elle soutient le récit.

 

1 : Un temps des possibles

L’été est une saison. Elémentaire, me direz-vous. Mais cela sous-tend que cette période de l’année est délimitée sur un temps précis. Un temps qui n’est plus le printemps, et qui n’est pas encore l’automne. L’été est de fait une saison riche en festivals et autres réjouissances, l’élément le plus marquant étant bien sûr les vacances. Ces dernières se voient comme un moment de non-quotidien, c’est-à-dire brisant temporairement la routine de notre vie. Elles sont en cela une sorte de libération, comme l’étaient certains jours de fête dans les sociétés primitives, où les tabous étaient levés. Si l’été est une saison de non-quotidien, elle est donc une période propice à des évènements non (extra) ordinaires, une saison où les normes n’ont plus cours. L’été est ainsi une saison des possibles, où tout peut arriver. Mais si cette période de temps prend un sens tout aussi particulier, c’est parce qu’elle est associée à un autre temps, celui de l’adolescence. Et notamment les vacances d’août du lycée. De cette manière, l’été est à la fois en lui-même un temps des possibles, et, inscrit dans une temporalité adolescente, un temps où des évènements tels que les miracles peuvent arriver. Cela car la fin de l’adolescence est un temps médian, entre l’enfance et le temps adulte. Et comme tout temps médian, c’est un temps propice à l’apparition de choses non ordinaires. « On considère qu’un phénomène déterminé ou anormal se produit à une certaine heure ou un certain temps déterminé. Selon le phénomène particulier, on donne un sens spécial à ce temps ». (Namihira Emiko, Kegare p. 253). Si le folklore japonais associe ces moments médians à l’apparition de monstres et autres souillures, l’animation japonaise adapte ces derniers à ses codes (moe, ect.), les inscrivants comme éléments perturbateurs dans le récit. Ce sont ces éléments extra-ordinaires, le plus souvent incarnés dans des personnages, qui permettent au récit de développer ses thèmes de manière plus marquée. Par exemple, dans Onegai Teacher et Ano natsu de matteru, l’été (et donc l’histoire) commence par l’arrivée d’une extra-terrestre. Cette arrivée brise le quotidien, pour le faire entrer dans une phase de sur-quotidien (c’est-à-dire un quotidien de non quotidien). En termes de temps, c’est l’effervescence de la fin de l’adolescence, les derniers étés avant l’âge adulte, un moment de flottement hors du temps ordinaire.

 

2 : La chaleur de l’aventure

Nous avons vu que l’été, associé à l’adolescence, est un temps des possibles. Il est donc le moment le plus propice à l’aventure et aux nouvelles expériences, des choses non quotidiennes. D’un point de vue psychologique, ce sur-quotidien, empli à chaque instant d’expériences marquantes, nous fait percevoir le temps de manière plus lente. L’été est alors d’autant plus un moment « hors du temps », qui n’appartient qu’à ceux qui l’expérimentent. Ces expériences peuvent se résumer grossièrement à deux choses : amour et amitié. Ces deux types de relations seront déclinés en diverses situations, donnant lieux à de grands moments de joie, des premiers émois amoureux, ou encore des remises en question de soi-même. Le tout ne formant qu’un dans un développement se dirigeant irrémédiablement vers une fin, celle de l’été. Marquant une limite très nette, cette fin peut se voir comme un ultimatum, celui de la fin de l’adolescence, ou d’une situation jusqu’alors en suspens. Lorsque l’été prendra fin, la magie de ce temps médian prendra elle aussi fin. Mais avant de parler de la fin elle-même, il faut évoquer ce qu’est l’expérience de l’été qui y mène. Si nous avons cité des exemples types, tout ce que représente l’été d’un adolescent d’animation japonaise se résume à être heureux. A vivre librement ses fantasmes d’aventures, hors des normes scolaires et sociales auxquelles il est soumis au quotidien. C’est ce caractère hors normes que soutiennent les évènements extra-ordinaires qui les touchent. Cette volonté de bonheur, d’expériences de vie, peut s’expliquer de la manière suivante. Dans son livre Gensô no mirai (l’avenir de l’illusion), le psychologue Kishida Shû aborde la différence d’éducation entre l’Europe et le Japon. Elle résiderait, selon lui, dans la liberté accordée à l’enfant. En Europe, l’éducation se voudrait plus stricte à l’enfance, relâchant peu à peu la bride à mesure que l’enfant grandit. Au Japon, ce serait l’inverse. L’enfant est choyé, pour être ensuite peu à peu restreint dans sa liberté, jusqu’à faire partie de la société. Sans trop entrer dans les détails, Kishida explique que le soi est toujours tiraillé entre une expansion du soi, et un abandon de soi. En Europe, l’abandon de soi serait alors dirigé vers Dieu (ou un autre représentant d’une figure universelle et omnipotente), là où le Japon distille cet abandon de soi dans les relations humaines elles-mêmes. On peut donc en conclure que le Japon dresse en dieu la société, formant l’enfant à s’oublier dans cette entité. La fin du lycée est donc la dernière période de sa vie où il jouira encore de la liberté de son statut de non adulte, c’est-à-dire un statut lui permettant d’explorer tous les possibles. Dans diverses œuvres, cela est souvent exprimé dans le choix d’orientation. L’adolescence étant un temps des possibles, le personnage devra cependant se restreindre à un seul choix, un seul récit, pour sa vie d’adulte. Et c’est cette restriction qui fait de l’été un exutoire à ces adolescents avides d’expériences et plein de rêves, dans une exaltation totale de leurs sentiments. C’est en cela que les premiers amours et amitiés y seront un thème des plus forts. Cette exaltation et ce caractère hors norme de leurs expériences seront exponentiels à mesure que se rapproche de la fin de l’été, la fin de leur adolescence.

 

3 : La fin du rêve

L’été est d’autant plus évanescent qu’on en connaît la fin. Et si elle nous effraie, c’est que cette fin marque inéluctablement la disparition de ce sur-quotidien, notamment de l’élément extra-ordinaire qui nous y a introduit. C’est-à-dire la disparition, voire la mort, du personnage qui incarnait cet élément. Dans Ano natsu de matteru, c’est donc la disparition de l’être aimé. Et tout l’enjeu de la fin de l’été sera de lutter contre ce dénouement. Une lutte désespérée que l’on sait à l’avance vaine. Cette lutte se traduit souvent par une fuite, qui bien que littérale, symbolise également la fuite de ce retour au monde réel qu’est la fin de l’été. Cela par un refus ou une peur de grandir (qui se traduit parfois par une recherche de soi pendant l’été) et donc d’avoir à faire le choix d’un seul récit, tout en sacrifiant son soi à la société. Si ce refus renferme une part d’égoïsme, il est aussi la manifestation d’une affirmation de soi. C’est donc dans la fuite même que le personnage grandit, malgré lui. Et ce retour au monde réel est ainsi telle la fin d’un rêve, un retour au quotidien et ses normes. Plus que la fin de l’été, c’est alors la fin de l’adolescence. Dans Iriya no sora, Ufo no natsu, la fin de l’été est principalement marquée par la disparition d’Iriya, mais aussi par le fait qu’Asaba tue quelqu’un. Ce passage l’âge adulte est alors marqué par une perte d’innocence, via une affirmation de soi. Cependant, si la fin de l’été est montrée comme tragique, elle n’en est pas moins le terreau d’un avenir heureux. Pour revenir à Ano Natsu, la dernière scène de l’anime nous dévoile d’une très belle manière le retour d’Ichika. Onegai Teacher aura également le même développement, mais sera surtout marqué par la guérison du trauma de Kusanagi, son temps pouvant enfin se remettre en marche (la mise en scène de l’anime joue très bien sur ce facteur temps au travers des passages à niveaux). Si nous avons jusque-là parlé de la fin de l’été (et donc de l’adolescence) comme d’une chose plutôt négative, elle se révèle au contraire comme un rite de passage, nous donnant la force de vivre, de nous tourner vers le futur. C’est en effet par l’expérimentation de ce sur-quotidien, et de la fuite qui l’accompagne, que le personnage va pouvoir se dépasser, grandir, et donner un sens à sa vie. Car c’est par ce caractère extra-ordinaire que le personnage pourra poser un regard nouveau sur l’ordinaire, le mettre en perspective. C’est donc dans le fait même de fuir le quotidien dans l’extraordinaire d’un sur-quotidien, qu’il pourra réussir à mieux s’intégrer dans le quotidien qu’il fuyait, cela en voyant ce dernier sous un nouveau jour, par ce rite de passage. Pour citer un dernier exemple, la fin d’Ano Hana montre l’acceptation du deuil, et donc de passer d’une situation de fuite (ici la stagnation dans un non-quotidien), à une renaissance dans le choix de vivre (de sortir du deuil), c’est-à-dire le choix d’un récit dans sa vie. Cela par l’élément extraordinaire qu’est le fantôme de Menma. La fin de l’été peut donc elle-même se voir comme le deuil de notre adolescence, d’une part extra-ordinaire de notre vie, tout en nous ouvrant sur une nouvelle part de cette dernière, fondée sur un système de valeurs différent.

 

Conclusion :

Les complaintes incessantes des cigales, sous le crépuscule immobile. Le triangle étoilé de l’été, à la lueur des lucioles. Les imposants nuages, perdus dans l’immensité du ciel bleu. Le tintillement d’une clochette, sous une douce brise. Le reflet de feux d’artifice à la surface de l’eau. L’été regorge d’éléments que l’animation japonaise peut utiliser à sa guise dans sa mise en scène, afin de d’appuyer ou de symboliser les thèmes de son récit. Si ce sont des éléments bien réels, l’animation (mais aussi toutes les œuvres autres de la culture otaku) les a cependant codifiés au point que certaines associations d’idées nous semblent, à nous consommateurs, des plus évidentes, voire des plus réelles. Ainsi, ce n’est plus tant l’été dans l’animation japonaise, mais bien l’été réel, dans lequel nous finissons par projeter nos fantasmes issus des codes de l’animation. Cette inversion des valeurs prend son sens dans un contexte postmoderne, où, face au déclin des grands récits, des récits mineurs comme ceux de la culture otaku se voient élevés en grands récits. De cette manière, la valeur de l’adolescence se voit redéfinie par le rite de passage qu’est le sur-quotidien d’un été. Cependant, ce rite de passage n’existe, ne peut exister, que dans l’animation japonaise, les éléments extra-ordinaires de cette dernière étant pour la plupart inconcevables dans le monde réel, désenchanté par la science. Mais en élevant les codes de l’animation comme un grand récit dans notre monde, il nous faut alors l’illusion d’avoir accès à ce rite de passage, cela par la consommation des œuvres qui le dépeignent. Il faut donc vivre, c’est-à-dire consommer toujours plus, des simulacres de sur-quotidien adolescent, afin de réenchanter son propre quotidien par ce biais, et donc, en quelque sorte, de réinventer son existence. Consommer ces récits, c’est se donner l’illusion d’avoir touché à ce caractère extra-ordinaire, voire de l’avoir vécu, et y trouver un sens à sa vie, à son quotidien. Ce besoin d’extra-ordinaire montre alors que le grand récit du dieu société japonais est lui-même sur le déclin, reposant de plus en plus sur ces simulacres (des récits mineurs) pour tenir debout. Car c’est alors vers ces simulacres eux-mêmes que l’abandon de soi est redirigé. L’été n’est qu’un exemple parmi d’autres de ce désir de sacralisation du quotidien au travers de l’animation. Cette dernière offre toutefois, comme nous l’avons vu, une grande richesse dans la manière dont elle utilise ces codes dans son récit, nourrissant également notre imaginaire de ces visions estivales que, nous humains, ne pourrions croire. Des visions qui pourtant, se perdent toutes dans le même crépuscule.

Une réflexion sur “La symbolique de l’été dans l’animation japonaise

  1. Pingback: Iriya no sora, UFO no natsu | Pensées éphémères

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